L'espèce fabulatrice. Vous voyez de qui je parle?

L’espèce fabulatrice de Nancy Huston : un petit livre à l’air inoffensif, qui secoue bien le cocotier.

Dans cet essai, Nancy Houston romancière, commence par cette question pas si anodine, que lui a posé une détenue de la prison de Fleury-Mérogis, alors qu’elle faisait partie du club de lecture de la maison d’arrêt des femmes : « A quoi ça sert d'inventer des histoires alors que la réalité est déjà tellement incroyable ? »

Sa réponse en 192 pages est dans son livre. Je vous en partage l’essentiel, ici.

Nancy esquisse tout au long du texte et sans détour, que notre imagination supplée à notre fragilité. Sans elle, sans cette imagination qui confère au réel un Sens - qu'il ne possède pas en lui-même - nous aurions déjà disparu...

Et ça commence dès la naissance, nos origines, notre nom, notre lignée, notre nation, notre religion ou non-religion, notre race, notre métier, et j'en passe, l'être humain invente des histoires. Il les dit « réelles », il les croit « réelles », alors qu'il ne fait que répéter ce qu'il a entendu, ce qu'on lui a dit, répété, sermonné, dès sa plus tendre enfance.

On se constitue avec l'histoire qu'on nous raconte à chacun, et à tous.

Rien n'est humain qui n'aspire à l'imaginaire, disait Romain Gary.

Alors oui, n’ayons pas l’air étonné(e), nous créons continuellement des fictions, nous fabulons.

Car, en réalité, tout est fiction, fictionS, même…

– Fiction du Soi :

"Je est une fiction."

"La conscience, c'est l'intelligence plus le temps, c'est-à-dire : la narrativité."

"En pénétrant dans notre cerveau, les fictions le forment et le transforment. Plutôt que nous les fabriquions, c'est elles qui nous fabriquent – bricolant pour chacun de nous, au cours des premières années de sa vie, un Soi."

– Fiction identitaire :

"Personnage et personne, viennent tous deux de « persona » : mot bien ancien (les Romains l'ayant emprunté aux Étrusques) signifiant "masque"."

"Un être humain, c'est quelqu'un qui porte un masque."

"Chaque personne est un personnage."

"La spécificité de notre espèce, c'est qu'elle passe sa vie à jouer sa vie."

– Fiction mémorielle :

"Notre mémoire est une fiction. Cela ne veut pas dire qu'elle est fausse, mais que, sans qu’on ne lui demande rien, elle passe son temps à ordonner, à associer, à articuler, à sélectionner, à exclure, à oublier, c'est-à-dire à construire, c'est-à-dire à fabuler."

– Fiction historique :

"Tout récit historique est fictif dans la mesure où il ne raconte qu'une partie de l'histoire".

Et cela …

« Parce que nous sommes incapables, nous, humains, de ne pas chercher du Sens. C'est plus fort que nous. Nous sommes les seuls, de toutes les espèces, à savoir que nous sommes nés et que nous allons mourir ».

Cette peur fait que nous inventons des fictions, nous fabriquons du sens.

Nancy partage l’hypothèse que "Le fait de croire en des choses irréelles nous aide à supporter le réel."

Chaque être humain est un personnage, la spécificité de notre espèce est qu'elle passe son temps à jouer sa vie. Dit comme cela brutalement, cela peut être déstabilisant, inconcevable presque pour certains. Et pourtant. (Je vous laisse le soin de votre propre ressenti et histoire…)

Considérant ce postulat, si notre vie est faite de fictions, alors autant en choisir des riches et belles, celles qui nous portent, nous élèvent et finalement nous rendent fiers d'être Humain(e)s.

Déconstruire certaines histoires, redevenir auteur libre de notre vie, se relier aux autres, créer et vivre l’histoire qui nous honore, tous ( big clin d'oeil aux Pratiques Narratives, auxquelles je me forme actuellement )...voilà, peut-être de quoi fabuler ensemble de façon plus consciente ?

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